Feuille de route d'Haïti : l'État est creux, le secteur privé est perçu comme prédateur – la société civile peut-elle tenir le coup ?


Haiti’s Roadmap: The State is Hollow, the Private Sector is Perceived as Predatory — Can Civil Society Hold the Line?

By Patrick Prézeau Stephenson (Le Français suit)

PORT-AU-PRINCE — Haiti’s transitional “feuille de route” promises three pillars: security, elections, and constitutional reform. On paper, these are state functions. In practice, after years of crisis and capture, the state is brittle. The private sector has the money and the trucks. But the actors who can make or break legitimacy are neither ministers nor magnates. They are Haiti’s unions, peasant networks, women’s groups, human rights organizations, youth movements, and community radios — the stubborn infrastructure of Haitian civil society.

The choice is stark: either civil society becomes the guarantor of trust, or the roadmap collapses into another elite arrangement.

 

Security: Corridors Only Work if Communities Own Them

Haiti’s private operators can help unblock “protected service corridors” — port-to-hospital, fuel-to-clinic, textbooks-to-school. But corridors are not sovereignty. Left unchecked, they risk morphing into private toll roads.

Civil society must anchor oversight:

  • Local monitoring boards with women’s groups, human rights organizations, and neighborhood leaders, empowered to suspend providers who extort or collude.
  • Kreyòl-first transparency, with daily dashboards posted at clinics, markets, and on community radios.
  • Grievance hotlines with teeth, managed by civic groups with power to trigger contract suspension.

If communities own the corridors, they become lifelines. If not, they are just another layer of predation.

 

Elections: Guardians of Process, Not Kingmakers

Haiti’s private sector can move ballots and fuel generators. But legitimacy belongs to the people. Civil society’s job is to keep the logistics narrow, technical, and transparent.

  • Chain-of-custody under watch: citizen networks documenting ballot movement in real time.
  • Blackout-proof tabulation: live transparency, mirrored data, and public posting of tally sheets.
  • Rehearsal before reality: a national “dry run” scored openly — did 90% of polling places receive kits intact and on time?

Civil society is not there to crown winners. It is there to make malpractice harder and trust less fragile.

 

Constitutional Reform: Convene, Don’t Script

Reform will not survive if it looks like an inside job. The antidote is radical inclusion led by civic organizations already trusted to convene.

  • Forums that pay for presence, with stipends and childcare so rural women and peasants can attend.
  • Firewalls on money, where elites may rent halls but cannot write content.
  • Receipts of listening, with transcripts, participant lists, and public syntheses in Kreyòl.

The measure of success is not an elite peace deal, but whether ordinary Haitians see their voices on record.

 

Who Watches the Watchers?

Civil society’s credibility is high but not invulnerable. It, too, needs safeguards: rotating oversight seats, public ledgers of funds received and complaints resolved, and conflict-of-interest disclosures.

 

The Stakes

Haiti has heard promises before. What is different now is the chance to tie each step to visible proof: a clinic stocked without bribes, a rehearsal that gets ballots where they should go, a forum where rural voices are not just invited but heard.

The private sector can deliver trucks and warehouses. But logistics is not legitimacy. Civil society supplies consent. And without consent, Haiti’s transition risks becoming just another cycle of capture.

The future hinges not on what elites promise, but on whether the people — through their civic networks — can force discipline into execution and trust into outcomes. That is the difference between a transition Haitians endure, and one they believe.

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Feuille de route d'Haïti : l'État est creux, le secteur privé est perçu comme prédateur – la société civile peut-elle tenir le coup ?

Par Patrick Prézeau Stephenson

PORT-AU-PRINCE — La “feuille de route” de la transition haïtienne repose sur trois piliers : sécurité, élections et réforme constitutionnelle. Sur le papier, il s’agit de fonctions étatiques. En pratique, après des années de crise et de capture, l’État est fragilisé. Le secteur privé dispose de l’argent et des camions. Mais les acteurs capables de garantir la légitimité ne sont ni les ministres ni les magnats. Ce sont les syndicats, les organisations paysannes, les associations de femmes, les défenseurs des droits humains, les mouvements de jeunes et les radios communautaires — l’infrastructure obstinée de la société civile haïtienne.

Le choix est clair : soit la société civile devient la garante de la confiance, soit la feuille de route se réduit à un arrangement de plus entre élites.

 

Sécurité : les corridors ne fonctionnent que si les communautés se les approprient

Les opérateurs privés peuvent aider à débloquer des « corridors de services protégés » — du port à l’hôpital, du carburant à la clinique, des manuels scolaires à l’école. Mais les corridors ne sont pas la souveraineté. Sans contrôle citoyen, ils risquent de se transformer en routes à péage privé.

La société civile doit ancrer le contrôle :

  • Comités de surveillance locaux, incluant organisations de défense des droits humains, associations de femmes et représentants de quartiers, avec pouvoir de suspendre tout prestataire qui extorque ou collabore avec les gangs.
  • Transparence en créole d’abord, avec des tableaux de bord quotidiens affichés dans les hôpitaux, marchés et radios communautaires.
  • Lignes de plainte effectives, gérées par des groupes civiques ayant la capacité de suspendre les contrats en cas d’abus.

Si les communautés s’approprient les corridors, ils deviennent des lignes de vie. Sinon, ils ne seront qu’une nouvelle couche de prédation.

 

Élections : protéger le processus, pas fabriquer des rois

Le secteur privé peut déplacer des urnes, fournir du carburant et gérer des entrepôts. Mais la légitimité appartient au peuple. Le rôle de la société civile est de maintenir la logistique dans un mandat étroit, technique et transparent.

  • Chaîne de garde citoyenne : des réseaux indépendants documentant en temps réel le mouvement du matériel électoral.
  • Centres de tabulation à l’épreuve des coupures : transparence en direct, publication des procès-verbaux et données dupliquées sur des serveurs civiques.
  • Exercice national préalable : un “test grandeur nature” évalué publiquement — 90 % des bureaux ont-ils reçu les kits intacts et à temps ?

La société civile ne désigne pas les vainqueurs. Elle rend simplement la fraude plus difficile et la confiance moins fragile.

 

Réforme constitutionnelle : convoquer, pas dicter

La réforme ne survivra pas si elle apparaît comme une affaire d’initiés. L’antidote, c’est l’inclusion radicale portée par les organisations civiques déjà capables de rassembler.

  • Forums avec compensation, couvrant transport et garde d’enfants pour permettre la participation des femmes et des paysans.
  • Cloisonnement des financements : les élites peuvent louer des salles, mais pas écrire le contenu. Les bailleurs doivent être publiés en temps réel et des auditeurs indépendants mandatés.
  • Traces publiques de l’écoute, avec transcription, listes de participants et synthèses accessibles en créole.

La réussite ne se mesure pas à un accord d’élites, mais au fait que les Haïtiens ordinaires voient leurs préoccupations consignées.

 

Qui surveille les surveillants ?

La crédibilité de la société civile est élevée mais pas invulnérable. Elle doit aussi s’imposer des garde-fous : rotation des sièges, publication des fonds reçus et des plaintes traitées, et déclarations d’intérêts pour ses leaders.

 

Les enjeux

Les Haïtiens ont déjà entendu beaucoup de promesses. Ce qui change aujourd’hui, c’est la possibilité de lier chaque étape à une preuve visible : une clinique approvisionnée sans pots-de-vin, un test électoral où les bulletins arrivent à l’heure, un forum où les voix rurales sont entendues.

Le secteur privé peut fournir des camions et du carburant. Mais la logistique n’est pas la légitimité. La société civile apporte le consentement. Et sans consentement, la transition risque de se réduire à une nouvelle capture des élites.

L’avenir d’Haïti ne dépend pas de ce que promettent les puissants, mais de la capacité des citoyens — à travers leurs réseaux civiques — à imposer la discipline dans l’exécution et la confiance dans les résultats. C’est la différence entre une transition que le peuple subit et une transition à laquelle il croit. 

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